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Les seins, organe biologique, maternel et sacré
Les seins des femmes ne sont pas un organe biologique comme les autres. Leur fonction évolue au gré des fantasmes de chaque époque, selon des considérations de la société, indépendantes de la volonté même des femmes. “Avoir des seins, c’est se trouver d’emblée projetée dans l’objectivation, c’est devenir un objet avant même que d’être un sujet”, explique la philosophe Camille Froidevaux-Metterie, dans Seins, en quête d’une libération. Ce premier article, rédigé à la lumière de l’histoire Occidentale et plus particulièrement française, investit la charge maternelle qui pèse sur la poitrine féminine depuis la Préhistoire : les seins ont initialement été considérés uniquement comme élément de la maternité, baignant dans une aura sacrée

Précision : cette analyse se concentre sur les femmes cisgenre.

Sommaire

I. Les seins : organe biologique

 
La poitrine fait partie des organes biologiques sexués, marqueurs du sexe masculin ou féminin selon une vision binaire. Chez les individus nés de sexe féminin, la poitrine se développe à la puberté et peut faire l’effet d’un “tournant existentiel”, comme l’évoque Camille Froidevaux-Metterie1.

“Quasi soudainement, l’enveloppe corporelle change de contours, la chair s’augmente, des formes inconnues apparaissent, une métamorphose attendue et surprenante à la fois se produit qui bouleverse le rapport que la fille entretient avec elle-même et avec les autres.”

Avant même de revêtir une signification symbolique aux yeux des autres, les seins des femmes marquent le passage à l’âge adulte qui s’opère sous l’influence d’oestrogènes (hormones). Une boule de graisse se développe au niveau de chaque téton, symétriquement ou non, de manière sensible, parfois douloureuse.
 
Anatomie du sein
Voir ses seins grossir fait partie de l’expérience de la puberté chez la femme, (tout comme l’élargissement de ses hanches, l’apparition de poils pubiens, etc) et peut s’accompagner de complications notamment en termes de gêne et de prise de poids. À titre d’exemple, lors d’une course à pied de 30 minutes, les seins peuvent sauter 5 000 fois, multipliant leur poids par 5, et nécessitent parfois du matériel adapté (double brassière, coques de protection, voire opération de réduction mammaire). Les seins des femmes évoluent tout au long de leur vie, et leur volume augmente notamment lors des grossesses. La sage-femme Camille Tallet explique que sous l’influence des oestrogènes, la glande mammaire prolifère et fait grossir les seins pour préparer à l’allaitement. Ce changement plus ou moins rapide entraîne parfois des vergetures.
 
Bercées de représentations de ce à quoi les seins parfaits devraient ressembler selon les standards de chaque époque, les jeunes femmes peuvent vivre la transformation de leur poitrine avec enthousiasme, angoisse, surprise, joie ou déception. Plus ou moins ronds, fermes, hauts et tenus, gros, poilus, avec des tétons aux aréoles plus ou moins larges et sombres, les seins sont polymorphes. Si chacun et chacune développe ses propres goûts en matière d’esthétique des seins, il semble exister historiquement une norme de beauté répandue et bien ancrée dans la société : celle de seins à la forme de pommes, c’est-à-dire ronds et hauts. Cette norme est souvent source de complexes : selon Camille Froidevaux-Metterie, apprendre à aimer ses seins est un travail de longue haleine souvent tributaire du regard des autres.
 
À l’inverse des femmes, les hommes (cisgenres) n’ont pas de seins mais des pectoraux (muscles situés au niveau de la poitrine). Leurs glandes mammaires peuvent se développer excessivement en raison d’un déséquilibre hormonal, formant ainsi des seins. Cette affection courante s’appelle la gynécomastie et touche plus de 50% des adolescents et des hommes de plus de 50 ans. Bien qu’elle se traite dans 90% des cas par une opération ou des traitements, elle est souvent très mal vécue chez ces jeunes qui ne se sentent pas pleinement hommes en ayant des caractéristiques attribuées biologiquement aux femmes.
Différents stades de gynécomastie chez les hommes

II. Les seins : leur fonction maternelle affiliée au sacré

 
Statuette déesse de la fertilité (-5000 av J.C)
Dans l’histoire, plus précisément celle de l’Occident, la poitrine des femmes a toujours été perçue comme symbole de la maternité : de la Préhistoire à la fin du Moyen-Âge, les seins étaient réduits à leur fonction d’allaitement, qui leur conférait un caractère sacro-saint. Bien que subjective car écrite principalement par des hommes, l’histoire de l’art et de la littérature témoigne de l’évolution des mentalités. L’historienne Marilyn Yalom2 explique que jusqu’à ce que la pasteurisation rende le lait animal inoffensif (fin du 19ème siècle), il n’y avait aucun substitut au lait maternel : pour tout nouveau-né, le sein signifiait la vie ou la mort. Les statuettes des déesses de la fertilité datant de la Préhistoire montrent des femmes soutenant leurs seins en geste d’offrande. Leur corps étant associé à la fécondité, à la nourriture vitale, aux royaumes animal et végétal, les femmes ont traditionnellement été écartées des royaumes du “pensant” et du “spirituel”, réservés aux hommes.
 
Puis s’est imposé, dans les religions de la Grèce Antique, ce que Marilyn Yalom nomme : “le règne du phallus”, soit l’implantation d’un système patriarcal. À cette époque, les femmes grecques sont reléguées au foyer, elles doivent être vêtues de la tête au pied, alors que les hommes occupent l’espace extérieur, l’agora, le gymnase… et peuvent être nus. Si les parties génitales masculines sont célébrées, la poitrine féminine fait pour sa part écho à des légendes anciennes, à des pouvoirs surnaturels, à des mythes comme celui des Amazones. Dans la Bible hébraïque, la valeur essentielle des femmes réside dans le fait de pouvoir porter des enfants, de procréer. Le sein stérile, comme le ventre vide, sont considérés comme une malédiction. Dans la Bible catholique, Marie échappe à la censure qui vise les femmes s’adonnant aux plaisirs de la chair car elle tombe enceinte sans relation sexuelle, fécondée par le Saint Esprit – d’où le titre de Vierge Marie. Aucune femme ne peut espérer atteindre le statut unique de Marie, mais elles peuvent néanmoins rester “pures”. La luxure, un des péchés capitaux, est d’ailleurs couramment attribuée aux femmes et punie d’une mutilation envers les seins ou le sexe.
 
Madonna Lactans, peinture de Ambrogio Lorenzetti (entre 1325 et 1348)
La littérature médiévale raconte aussi le lien entre la poitrine et l’aptitude maternelle. Les mauvaises mères, explicitement condamnées, sont celles qui se débarrassent de leur enfant en le donnant à une nourrice, chargée d’allaiter. Pendant tout le Moyen-Âge, le lait maternel et le sang du Christ sont porteurs de connotations mystiques (religieuses). Le sein de Marie offre aux chrétiens le symbole d’une féminité à laquelle hommes et femmes peuvent s’identifier, puisqu’ils ont tété un sein maternel. Pendant toute l’histoire ancienne, la fonction d’allaitement de la poitrine baigne dans une aura sacrée. La Vierge Marie transporte cette ancienne conception dans le monde moderne.
 
Le modèle maternel, étroitement lié à l’idéal de la Madone, se voit controversé à la fin du Moyen-Âge par l’influence croissante de l’amour courtois, qui ne laisse aucune place à la lactation. Des changements majeurs s’opèrent à travers l’Europe dans la façon de se vêtir : alors qu’avant, hommes et femmes portaient des tuniques assez semblables jusqu’aux chevilles, les hommes exposent à présent leurs jambes. Les femmes continuent de porter des robes longues mais abaissent leurs décolletés et resserrent leur corsage. Beaucoup associent cette mode à une invitation à la sexualité. Dans l’ouvrage consacré à l’éducation de ses filles, le chevalier de La Tour Landry incite les lectrices à ne pas montrer leur poitrine pour devenir des femmes vertueuses, modestes, obéissantes, à l’opposé des “dévergondées” qui exposent leur corps.

III. Les seins : leur fonction maternelle affiliée au politique

 
 
Alors que la mise en nourrice en France n’était qu’une pratique aristocratique au 16ème siècle, elle gagne la bourgeoisie au 17ème siècle avant de s’étendre aux classes populaires le siècle suivant. Cependant, dès le milieu du 18ème siècle, philosophes, penseurs politiques, responsables gouvernementaux, médecins, mènent une campagne virulente contre cette pratique, désormais mal vue. Rousseau, qui jouit d’un énorme pouvoir d’influence, estime que les hommes sont dotés d’un esprit pour penser, les femmes de seins pour nourrir. L’allaitement par la mère, pratique naturelle et donc considérée comme meilleure au temps du siècle des Lumières, est un devoir envers la communauté nationale : les seins, à la fonction jusqu’alors maternelle, prennent une fonction quasi politique.
 
La mère allaitant devient le sujet de peintures et de poèmes sentimentaux. Confinées au foyer, les femmes elles-mêmes s’attachent à leur devoir nourricier. Pendant la Révolution, le fait d’allaiter peut sauver les femmes de la prison car la Nation pense à la santé des enfants dans un contexte de mortalité infantile importante. On associe l’allaitement maternel aux valeurs républicaines et la mise en nourrice à la décadence royaliste. Les femmes aux seins nus représentent la Révolution Française, et leurs seins sont réquisitionnés pour transmettre un éventail d’idéaux républicains, comme la liberté, la fraternité, l’égalité, le patriotisme, le courage, la justice, la générosité…
 
Affiche pour « Le prêt de la libération 1918″ : Souscrivez !  » – ill. par B. Chavannaz, droits réservés.
Au 19ème et 20ème siècles, on fait appel au sein maternel avec des accents érotiques pour servir des intérêts nationaux, en temps de guerre en particulier. La République est incarnée en mère d’abondance, avec les seins découverts. La propagande de la Première guerre mondiale montre une Marianne torse nu qui lève le bras et incite la population à prêter de l’argent au gouvernement.
 
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les affiches européennes et américaines montrent des femmes à leur poste de travail, mais les seins ne disparaissent pas totalement : aux Etats-Unis par exemple, ceux des pin-up répondent à des désirs psychologiques fondamentaux. Les hommes qui combattent en Europe regardent les poitrines des femmes pour se rappeler les valeurs que la guerre détruit : l’amour, l’intimité, l’alimentation.
 
A noter que l’utilisation politique des seins peut aussi être le fruit d’une volonté des femmes elles-mêmes de se réapproprier leur corps, comme c’est le cas du groupe féministe les Femen, dont nous parlerons plus tard dans un article dédié.

Conclusion

 
Pendant une très longue partie de l’histoire Occidentale, les seins des femmes ont été associés à leur fonction maternelle et à un idéal sacré de pureté. Cependant, dès la Renaissance, un nouveau phénomène social naît : la sexualisation de la poitrine féminine, bouleversant la considération initiale qu’on lui donnait. Rendez-vous dans le prochain article pour en savoir plus !

Merci à Morgane pour la bannière !

Sources

  1. Seins, en quête d'une libération, Camille Froidevaux-Metterie, 2020
  2. Le Sein, une histoire, Marilyn Yalom

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