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Bannière de l'article sur "Décès de Mahsa Amini : quelles conséquences en Iran ?"
Décès de Mahsa Amini : quelles conséquences en Iran ?
Après deux articles sur la situation en Iran pour comprendre la place des femmes sous la dynastie des Pahlavi (pendant laquelle le voile a parfois été interdit) et sous la République islamique d’Iran (le régime actuel, sous lequel le port du voile est obligatoire), nous vous proposons un dernier sujet d’analyse. Nous revenons ici sur les faits entourant le décès de Mahsa Amini et les révoltes qui ont suivi. Nous vous proposons aussi la retranscription d’une interview menée par La ReF avec Maître Athéna Karimi, une avocate française ayant des origines iraniennes, qui travaille depuis 15 ans sur les demandes d’asile de toutes nationalités. Elle nous partage son regard sur la situation en Iran, met en lumière les différents scénarios futurs et donne son avis sur comment, en Occident, nous pouvons agir.
 
Cet entretien date du 20 novembre dernier. Avocate au barreau de Paris, Maître Athéna Karimi a suivi le parcours de nombreux Iraniens et Iraniennes en exil et a été témoin des différentes vagues de personnes fuyant leur pays en raison des persécutions. Elle n’a de cesse de promouvoir la liberté, et notamment l’égalité entre les femmes et les hommes. Elle a co-fondé le collectif Avocats ZZA, qui aide les Iraniens et Iraniennes en exil à connaître les évènements et actions de la diaspora en France et dans le monde, à s’informer sur la situation en temps réel et à avancer sur le terrain juridique en France. Le collectif tire son nom du slogan des révoltes “Femme, Vie, Liberté” (Zan, Zendegi, Azadi en persan).

Sommaire

Comprendre le contexte : le décès de Mahsa Amini

 
Mahsa Amini, une jeune femme Kurde de 22 ans, est arrêtée le 13 septembre 2022 à Téhéran par les forces de l’ordre iraniennes, alors qu’elle est en vacances avec sa famille. Elle est accusée de ne pas respecter “les vêtements appropriés” de la loi islamique car des cheveux dépassent de son voile. Suite à son arrestation, Mahsa Amini tombe dans le coma et meurt à l’hôpital trois jours plus tard, le 16 septembre.
 
Les circonstances de sa mort restent floues. La police de Téhéran affirme qu’elle se serait évanouie au poste et qu’il n’y aurait eu aucune violence de leur part. Pourtant, les images du scanner du crâne de Mahsa Amini, rapportées par le média Iran International, montrent une fracture osseuse, une hémorragie et un œdème cérébral, laissant imaginer une grande violence exercée par les forces de l’ordre. Cette hypothèse est également appuyée par le témoignage des autres détenus présents dans la voiture de police.
 
Loin d’être un fait divers, la mort de Mahsa Amini met le feu aux poudres en Iran. Depuis, le pays est encore en proie à une révolte “inédite dans la durée”, selon la sociologue Abnousse Shalmanie sur le plateau de C ce soir. Les femmes iraniennes brûlent leur hijab, se filment à visage découvert, se coupent les cheveux. Le hashtag #Mahsa_Amini est viral sur Twitter, il dépasse les frontières et force tous les regards à se tourner vers l’Iran. Les cris de “Mort au dictateur” se font désormais entendre une fois la nuit tombée en Iran.

“Ce qui se passe aujourd’hui n’est pas une révolte contre la religion, contre le voile. C’est un mouvement contre un régime qui, entre autres, a rendu le voile obligatoire, en a fait son fondement idéologique, privant de ce fait les femmes de leur liberté de choix”

Selon la sociologue, les femmes, très éduquées, “perçoivent, en grande majorité, l’archaïsme des lois qui leur sont imposées.” Ce sont elles qui mènent les manifestations et les mouvements. Les manifestants expriment également leur colère contre une grave crise économique, alors que l’inflation a atteint 54% en juin dans le pays. Près de la moitié des 83 millions d’habitants vivrait sous le seuil de pauvreté, contre 20% en 20151.

Interview avec Maître Karimi

Comment comprenez vous le climat actuel en Iran ?

MK : Aujourd’hui, on est à plus de deux mois de tension. Les Iraniens parlent de révolution et non plus des révoltes des premiers jours. Tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, tous se mobilisent pour demander le respect des droits les plus élémentaires. On parle de la première révolution féministe. La mort de Mahsa Amini a été le vecteur de toute une souffrance. On constate que, depuis la révolution islamique de 1979, toutes les libertés des femmes sont sous domination masculine, à chaque étape de la vie. Aujourd’hui on décide qu’une fille de 9 ans peut être mariée, qu’une femme qui a des relations hors mariage peut être lapidée, qu’elle ne peut pas rire en public, s’habiller comme elle veut… Ça touche tout le quotidien des femmes iraniennes.

MK : Le système juridique suit des règles religieuses, la marge de manœuvre des avocats est ainsi très réduite, tout est joué d’avance dans un tribunal où l’accès de l’avocat choisi est limité. Au nom de Dieu une femme peut être lapidée… Est-ce que Dieu a sa place au sein d’une enceinte judiciaire, est-ce que le religieux et le juridique ne doivent pas être foncièrement séparés pour garder un équilibre ?

Depuis mi-septembre, il y aurait eu 14 000 arrestations selon des experts des droits humains de l’ONU et plus de 500 morts selon l’ONG Iran Human Rights.

En quoi ces protestations sont-elles différentes des précédentes ?

MK : La jeunesse actuelle a accès à internet - en temps normal - donc elle a vu ce qui se passe ailleurs dans le monde, ce à quoi une vie normale ressemble. Cette génération est très courageuse, elle ose se mobiliser collectivement. Le fait qu’il y ait un soutien massif des hommes joue énormément. Les femmes iraniennes sont considérées comme des individus de deuxième catégorie par le régime des Mollahs. Mais aujourd’hui, ce sont ces femmes-là qui mènent la révolution et cela fait écho à beaucoup de femmes dans le monde. On remarque un élan de solidarité mondial puisque tous les Iraniens en exil soutiennent le mouvement “Femme, Vie, Liberté”. Il ne faut pas qu’il s’essouffle. Ces protestations sont foncièrement différentes des précédentes car elles sont menées par les femmes, pour les femmes et soutenues comme jamais par les Hommes.

Parmi les éléments caractéristiques de la révolution en Iran, on retrouve :
  • Une solidarité massive envers les contestataires : les femmes qui portent le voile sortent dans la rue défendre celles qui sont non-voilées, les hommes se révoltent aux côtés des femmes, “du jamais-vu” selon Mahnaz Shirali (interview Radio-France)
  • Un prisme générationnel : la génération d’aujourd’hui, très éduquée et connectée, voit comment les jeunes vivent ailleurs et ne supporte plus la vie imposée par la République Islamique. Nous n’avons jamais vécu, pourquoi devons-nous avoir peur de la mort ?”
  • Une durée de soulèvement inédite : “C’est la première fois qu’un mouvement de contestation iranien dure plus de 3 semaines et toute la société est en révolte. (…) Cette génération ne va pas rentrer chez elle”(M. Shirali).
  • Une remise en question des symboles du régime :

Quelles sont les revendications des révolutionnaires ?

MK : L’objectif, c’est d’avoir des droits élémentaires. Les Iraniennes vont dans la rue pour la liberté, pour que le port du voile ne leur soit plus imposé, mais laissé au libre arbitre de chaque femme. Il ne faut pas voir, dans le fait d’enlever son voile, un acte blasphémant pour toutes celles qui sont croyantes, mais un geste pour la liberté, pour avoir le choix de le porter ou non. Écoutez la chanson Baraye : elle résume toutes les raisons - pas uniquement féministes - pour lesquelles les Iraniens et Iraniennes sortent dans la rue. C’est un mélange de douleur et d’espoir.

Y a-t-il une volonté de repartir de zéro en faisant tomber le régime ?

MK : Il faut écouter les slogans qui viennent de l’intérieur : énormément d’entre eux sont des attaques directes au plus haut dirigeant de la République islamique (ndlr : le Guide suprême). Ils expriment un ras-le-bol, une volonté de dire NON à tout ce que la République islamique impose. Tous les jours, des jeunes se font arrêter, sont tués à balles réelles (48 enfants tués en 2 mois) et parfois il ne s’agit même pas de militants ou d’opposants politiques. Klaxonner en guise de soutien aux manifestations peut conduire à se faire tirer dessus. Aujourd’hui, tout le monde est solidaire au mouvement à cause de l’ampleur de la violence.

MK : La situation n’est plus possible sur le terrain des droits humains, ni sur le plan économique car les lourdes sanctions touchent en premier lieu la population. Certes, ce n’est pas la première fois que les gens vont dans la rue. Mais aujourd’hui, c’est différent. La mobilisation est générale et le régime a franchi trop de limites en torturant, et en exécutant des jeunes innocents.

Qu’entendez-vous par limites ?

MK : Au moment où on se parle, ils (ndlr : le régime) tirent sur la foule des manifestants pacifiques. Ils arrêtent, frappent, torturent et condamnent à mort. Tout le monde est solidaire aujourd’hui en Iran pour aspirer à un changement profond. On compte 16 813 arrestations depuis 2 mois. Quand le parlement dit qu’il faut tous les condamner à mort, ça voudrait dire que presque 17 000 personnes devraient mourir. C’est un crime contre l’humanité que de vouloir exécuter toute une partie de sa population.

Le système répressif en Iran est large, allant de l’arrestation à la peine de mort. Les services de sécurité répriment au-delà des manifestations. “En général, l’obsession des parents est d’apprendre que leur fils est torturé. Ou leur fille violée. (…) Dans les prisons, on détient, on torture, on viole mais aussi on juge, parfois le jour même de l’interpellation, souvent à huis clos, sans l’assistance d’un avocat ni de témoins.” lit-on dans l’article Mediapart 2.
 
La condamnation à mort est aussi un risque considérable pris par les contestataires. Au 11 décembre 2022, un collectif d’avocats anonymes comptait 55 personnes condamnées à mort3 depuis le début des révoltes, dont Mohsen Shekari, 23 ans, pendu deux semaines après son arrestation pour avoir été un “ennemi de Dieu”. Il s’agit de la première exécution depuis le décès de Mahsa Amini. « Le régime utilise la peine de mort pour répandre la terreur au sein de la contestation. C’est bien plus fort que de tirer sur les manifestants dans la rue.” (Mahmoud Amiry-Moghaddam, directeur de Iran Human Rights). Mediapart rapporte que la République islamique détient déjà le triste record du nombre d’exécutions par habitant dans le monde et qu’elle est le pire bourreau des femmes, avec 185 pendaisons depuis 2010.

Quel rôle jouent les instances internationales et l’ONU plus particulièrement ?

MK : L’ONU a un rôle très important de par son influence et le fort impact de ses résolutions. Quand plusieurs États se mettent d'accord pour faire une session spéciale sur l'Iran, c’est déjà un avancement. Mais, il y a des pays ayant un lien très fort avec le régime, comme l’Arménie et le Liban, qui bloquent les discussions et refusent de mettre en lumière la responsabilité des autorités iraniennes. Mais le gouvernement va à l’encontre de tous les standards des droits humains. Une résolution onusienne serait donc un début. Tous les juristes, avocats, pourraient se baser dessus.

MK : Aujourd’hui, je suis étonnée de voir que les médias français ne parlent pas de ce qui se passe en Iran. Le régime lui-même persécute son propre peuple et les Iraniens n’ont aucun moyen de se défendre. En deux mois, une vingtaine d’avocats ont été arrêtés.

MK : Sur le plan international, il faut unir les forces de tous ceux qui travaillent sur la responsabilité des droits de l’homme pour sanctionner les gens qui ont ordonné les exactions depuis 43 ans de régime islamique. Par exemple, le juge Salavati est notoirement connu pour rendre des condamnations à mort à tout va.

MK : La France doit aussi clarifier sa position. Dans le passé, n’oublions pas qu’elle a hébergé l'ayatollah Khomeyni et lui a donné le statut de réfugié (ndlr : en octobre 1978, pendant 4 mois, il s’est installé en exil à Neauphle-le-Château). Il a pris le pouvoir en Iran quelques mois plus tard. Face aux persécutions, on attend que la France coupe ses relations diplomatiques et évite toute négociation avec des responsables politiques iraniens.

Invités par Mediapart pour une soirée de soutien au peuple iranien4,
  • Farid Vahid, politiste, synthétise : “On ne demande pas aux Occidentaux de faire la révolution des Iraniens, on demande juste de ne pas aider la République Islamique”.
  • Le producteur Saïd Assadi, lui, conseille : “Essayez d’être plus attentifs sur l’embargo pétrolier, ne faites pas de compromis, essayez de couper là où ça fait mal. Si on bloque les ressources financières de ce régime à travers le pétrole, ça va ralentir la répression en Iran”.

À notre échelle, peut-on agir ? Aider ?

MK : Il faut commencer par informer, alerter par tous les moyens possibles. “Be our voice” : le peuple iranien sollicite l’international en leur demandant d’être leur voix. Il y a déjà des pétitions lancées, elles sont importantes. Sinon, le silence peut être meurtrier. Quand on est nombreux, la force est démultipliée et il y a moins de risques pour ceux qui sortent dans la rue. Tous les médias, organisations, associations, féministes ou non, quelles que soient les motivations : on ne peut pas rester indifférents à ce qui se passe en Iran car ça peut arriver ailleurs. On a besoin de la solidarité la plus large possible. Si on connaît des Iraniens, il ne faut pas hésiter à les soutenir moralement, car ils se sentent impuissants et déprimés par la situation.

MK : On peut aussi s’intéresser à l’histoire du pays : l’histoire contemporaine, les vagues de révolte ces dernières années et suivre la page Facebook du collectif ZZA qui relaie les actualités et manifestations en Iran. Aujourd’hui, les réseaux sociaux sont incontournables pour que ça ne se termine pas dans un bain de sang. Mais ensuite, il faudra saisir l’intérieur, les députés, à l’échelle nationale, à l’échelle européenne pour ne pas laisser la situation s’enliser dans le temps.

La réalisatrice Marjane Satrapi explique5 : “Moi qui parle aux Iraniens, quand ils savent que la communauté internationale parle d’eux, ils se sentent protégés, ça leur donne du courage pour pouvoir continuer. Il y a rien de pire que l’indifférence”.
 
La dessinatrice Bahareh Akrami partage la voix des Iraniens à travers ses planches de bandes-dessinées 6 : “Les réseaux sociaux, c’est super important. Relayer, relayer, relayer, un like c’est pas rien, parce que les (ndlr : les Iraniens et Iraniennes) oublier c’est les condamner”.

Quels sont les scénarios futurs envisageables ?

MK : Il y a 2 scénarios possibles : soit tout s'étouffe dans un bain de sang à l’intérieur du pays. Plus personne n’aura le droit de parler, il n’y aura eu aucune avancée sur les droits humains et des pertes humaines énormes. Soit les Iraniens obtiennent ce qu’ils réclament, c’est-à-dire un régime dans lequel il n’y a plus de mélange entre la religion et la politique. Grâce aux réseaux sociaux, tout le monde devient journaliste et relaie l’information qu’il voit. Le scénario probable, c’est que la scène internationale voie aussi la souffrance de la population iranienne et réagisse face à un régime qui est prêt à tout pour conserver le pouvoir. Le peuple iranien attend que les instances internationales prennent le relai et les appuient dans leurs démarches. Que l'Iran puisse être gouverné par des personnes choisies par le peuple iranien à l’intérieur de l’Iran. En tout cas, il faut une solution concrète dans les mois à venir sinon la situation va s’empirer, et il y aura beaucoup d’Iraniens qui seront contraints de fuir leur pays.

Conclusion

La Ref media remercie chaleureusement Maître Athéna Karimi de s’être rendue disponible pour répondre à nos questions sur la situation iranienne. Cet article clôt notre campagne sur l’Iran, divisée en 3 temps : avant la République islamique, pendant la République islamique et depuis le décès de Masha Amini en 2022. Grâce à cette approche historique, nous espérons avoir su vous apporter de la lumière sur les événements actuels et vous remercions pour vos nombreux retours. N’hésitez pas à nous faire part de vos avis en commentaires.

Merci à Naël pour la bannière !

Sources

  1. Iran: la rue se soulève aussi contre une économie en crise, Rfi
  2. Viols, tortures et disparitions forcées : en Iran, dans le labyrinthe de la répression, Mediapart
  3. L’Iran a déjà prononcé 55 condamnations à mort, Mediapart
  4. Femme, liberté, solidarité : notre soirée de soutien au peuple iranien, Mediapart
  5. Femme, liberté, solidarité : notre soirée de soutien au peuple iranien, Mediapart
  6. Compte instagram Baboo_chamailleuse

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