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Chasse aux sorcières et colonisation en France
Loin d’être un phénomène nouveau dans la société, les violences sexistes et sexuelles, fondées sur le genre, perdurent depuis des siècles dans la société française. Sous couvert de traditions religieuses et culturelles, ces violences se « justifiaient » autrefois par le fait que les hommes avaient droit d’autorité et de propriété sur les femmes. Aujourd’hui, bien qu’elles soient interdites et punies par la loi en France, les violences sexistes et sexuelles persistent et leurs mécanismes sont souvent compliqués à identifier. Ce sont des violences structurelles et systémiques, prenant des formes variées, et qui puisent leurs origines dans diverses oppressions et rapports de pouvoir menés au fil de l’histoire.
 
Dans cet article, nous avons délibérément choisi de nous focaliser sur la période du 16ème au 20ème siècle, des chasses aux sorcières à la colonisation, pour comprendre comment cette époque a cristallisé les violences faites aux femmes et structuré notre société actuelle.

Sommaire

I. La chasse aux sorcières comme politique de terreur

Trier et éliminer les femmes qui dérangent

Il est difficile de dater à quel moment les violences sexistes et sexuelles ont commencé, néanmoins, pour citer l’historienne Christelle Taraud, le “processus d’écrasement des femmes” prendrait véritablement racine dans les chasses aux sorcières qui ont lieu dès la Renaissance.

« La répression des sorcières répond à une peur, largement fantasmée d’un pouvoir des femmes, née d’une réalité diffuse et dont les hommes semblent prendre une conscience plus aiguë vers la fin du 15e siècle : la place grandissante des femmes dans l’espace social tout au long du Moyen Age. »

Les grandes chasses aux sorcières qui ont lieu en Europe entre le 16e et le 18e siècle – atteignant leur paroxysme entre 1560 et 1630 – ont été les plus dévastatrices. Selon l’historien Gérard Noiriel, on estime qu’environ 100 000 femmes ont été brûlées en Europe. Durant cette époque qualifiée d’humanisme, les femmes détentrices d’un savoir, d’un bien, ou d’autonomie et par extension d’un certain pouvoir, font concurrence aux hommes de pouvoir déjà établis et sont alors persécutées.

« Jamais dans l’histoire les femmes n’ont été victimes d’une attaque si massive, organisée à l’échelle internationale, avec l’agrément de la loi et la bénédiction de la religion. »

Dans son essai Une guerre mondiale contre les femmes (2021), Silvia Federici rappelle que ce phénomène est intrinsèquement lié aux transformations globales qui ont permis l’avènement du capitalisme. En effet, la privatisation de terres communes et la généralisation du travail rémunéré notamment ont engendré des changements économiques et une hiérarchie socio-économique. La société est ainsi de plus en plus clivée, avec les riches d’un côté, les pauvres de l’autre. Les femmes étant les plus démunies (souvent des femmes âgées sans ressources), elles sont, souvent, les plus persécutées. Les chasses permettent, entre autres, de se débarrasser d’elles. La capacité reproductive des femmes est également convoitée, puisqu’elles peuvent “fournir de la main d’œuvre ». Les chasses aux sorcières les forcent à se conformer à un nouveau modèle de féminité “utile” et “inoffensif ».
 
Les chasses sont mises en place comme une politique de terreur conduite par les hommes pour réprimer certains comportements des femmes. Les femmes jugées « non acceptables » sont brûlées vives sur la place publique : les femmes sans enfant, âgées, non mariées, veuves, à la sexualité « débridée », les sages-femmes, les guérisseuses, les victimes de fausses couches, les « trop jolies » perçues comme tentatrices, les femmes possédant des terres,… Les femmes victimes de violences sexuelles désirant dénoncer leur agresseur sont également jugées pour sorcellerie.

« En anéantissant parfois des familles entières, en faisant régner la terreur, en réprimant sans pitié certains comportements et certaines pratiques désormais considérés comme intolérables, les chasses aux sorcières ont contribué à façonner le monde qui est le nôtre. Si elles n’avaient pas eu lieu, nous vivrions probablement dans des sociétés très différentes. »

L’immense majorité des procès en sorcellerie visaient des femmes. En France, selon l’historien Robert Muchembled, « la cause principale de la fin des bûchers est le développement de l’État royal centralisé ». Sous le règne de Louis XIV, l’édit de 1682 met fin aux bûchers dans tout le royaume. Dès le 18ème siècle, les chasses aux sorcières cessent petit à petit, les superstitions décroissent progressivement et les femmes assimilent les comportements désirés : la soumission comme dispositif de survie.
 
C’est également à cette époque que le mythe du « sexe faible » fait son apparition. Les médecins et les philosophes imposent l’idée d’une nature “féminine”. Faibles et fragiles, les femmes seraient sur terre pour procréer et seraient complètement dépendantes de leur utérus. Les médecins de l’Antiquité, à l’instar d’Hippocrate, décrivent d’ailleurs l’utérus comme une organe ‘vagabond’, dont les mouvements causeraient les symptômes de « l’hystérie des femmes’. Les femmes sont alors plus facilement envoyées se faire interner ou lobotomiser, au lieu d’être envoyées au bûcher. Cette idée participe à la diabolisation du corps des femmes et à l’installation de la domination masculine avec l’aval de la science, sur laquelle le code civil s’appuiera pour justifier la protection (et, par extension, la domination) des hommes sur les femmes.

2. Asseoir la domination masculine et la soumission des femmes en société

Ce climat de suspicion généralisé participe à l’invisibilisation des femmes dans l’espace public et à leur domestication. Ainsi, forcées à « faire profil bas », à être dociles, prudes, polies, discrètes, les femmes vont être contraintes d’intégrer, de génération en génération, des comportements qui vont les mettre en retrait de la société. L’obsession de la jeunesse et de la beauté féminines seront également exacerbées durant cette période, pour contrebalancer avec l’image de la sorcière : la vieille femme ridée, aux cheveux blancs ou grisonnants.

II. La colonisation : entre esclavage et conquête des corps féminins

À partir du 17e siècle et jusqu’au 19e siècle, la France étend son empire colonial et instaure l’esclavage dans les territoires dont elle s’empare. Ce système d’exploitation est justifié par des arguments en faveur de la suprématie des hommes blancs et chrétiens, souvent bourgeois. Selon Christine Taraud, l’esclavage et la colonisation sont indissociables de la domination masculine. La détention du pouvoir et de privilèges par les hommes, ainsi que le régime de force qui en découle, créent un véritable ordre social reposant sur la domination masculine : le patriarcat.
Les esclaves femmes, au pouvoir reproducteur, deviennent valeur économique pour repeupler les colonies. DR
Ainsi, Christelle Taraud suggère de considérer l’esclavage et la colonisation comme féminicides. Si la colonisation se définit comme une conquête territoriale, le corps des femmes était également à coloniser. Comme le mentionne Angela Davis dans son essai Femmes, race et classe, les femmes esclaves, en plus d’être des forces de production, étaient des forces de reproduction, considérées uniquement comme des ventres. Le viol des femmes réduites en esclavage permettait également de « renouveler la main d’ouvre ». Le Code Noir de 1685, un recueil de textes juridiques racistes et esclavagistes applicables dans les colonies françaises, déshumanise les personnes réduites en esclavage en leur attribuant le statut d’objets-meubles : pour les femmes, cela signifiait bien souvent devenir « l’objet sexuel » de leurs propriétaires. Les violences sexuelles sur les femmes sont ainsi systématiques.
Les femmes font même face à une triple peine : elles sont discriminées par leur statut d’esclave, par leur couleur de peau et par leur sexe. De nombreuses femmes réduites en esclavage ont résisté et se sont révoltées contre l’oppression, telles que Solitude en Guadeloupe, Sanite Belair en Haiti, Claire en Guyanne française ou encore Héva, à l’Ile de la Réunion.
Solitude, Guadeloupéenne. Œuvre de l'artiste sculpteur guadeloupéen Jacky Poulier - Photo de PHILIPPE VIRAPIN/REA
Les mentalités sexiste, patriarcale et raciste des empires coloniaux ont ainsi influencé les rapports des hommes européens avec les femmes non blanches et entraîné une « fabrique des fantasmes » dont les stéréotypes persistent encore aujourd’hui. Dans l’ouvrage polémique Sexe, Race et colonies1, on lit : « Les imaginaires sexuels coloniaux ont façonné les mentalités des sociétés occidentales ». Nombreux sont les clichés d’hommes blancs posant à côté de femmes noires torse nu ou d’autres mises en scène dans lesquelles les femmes racisées étaient fortement sexualisées. Certains colons sont même allés jusqu’à inventer des mythes tels que “les nuits chaudes” durant lesquelles, selon eux, les femmes réduites en esclavage désiraient avoir des relations sexuelles interminables.

« Pendant des siècles, la reproduction de la force de travail indispensable au système capitaliste a reposé sur le vol des ventres des femmes africaines et malgaches »

III. Le Code Napoléon comme système de domination

La Révolution Française abolit l’esclavage en 1794 et fait naître un peu d’espoir dans l’esprit des femmes. Malheureusement, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen les écarte complètement de la lutte des droits. En 1791, pour souligner la privation des droits politiques des femmes, Olympe de Gouges rédige la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Révoltée contre les inégalités, l’injustice et l’asservissement que subissent les femmes, elle promeut dans son texte la liberté, la prospérité, la sûreté et surtout la résistance à l’oppression. Elle y revendique cinq droits :
 
1. le droit de vivre libre de toute violence et discrimination
2. le droit au meilleur état de santé physique et mentale susceptible d’être atteint,
3. le droit à l’éducation,
4. le droit à la propriété,
5. le droit de voter et le droit à un salaire égal.
 
Cette déclaration ne donnera aucune suite et ne connaîtra un réel succès que dans la seconde partie du 20e siècle. En 1795, un décret interdit dans l’espace public les regroupements de plus de 5 femmes. Les femmes sont cantonnées à l’espace domestique qu’elles avaient quitté lors de la Révolution. En 1802, Napoléon rétablit l’esclavage et publie, deux années plus tard, le Code Civil. Une distinction raciale s’opère dans l’exploitation des femmes : les femmes blanches sont assignées à une dépendance domestique et privées d’une identité légale propre, tandis que les femmes noires sont déshumanisées et réduites en esclavage. L’infériorité des femmes est à présent inscrite dans la loi :
 

“La femme et ses entrailles sont la propriété de l’homme, il en fait donc ce que bon lui semble”

Soumises à l’autorité du père et du mari, les femmes sont privées de droits juridiques, au même titre que les mineurs, les criminels et les « fous ». Cette organisation patriarcale permet de classer les individus et d’instaurer un système de domination. Parmi les lois et articles qui oppressent les femmes et engendrent des violences, nous pouvons citer :
  • Le « crime passionnel » : « le meurtre commis par l’époux sur son épouse, ainsi que sur le complice, à l’instant où il les surprend en flagrant délit [adultère] dans la maison conjugale, est excusable », article 336 du Code pénal de 1810.
  • le double standard de l’adultère : s’il est commis par un homme, celui-ci est passible d’une amende, s’il est commis par une femme, celle-ci risque une peine d’emprisonnement de trois mois à deux ans (article 337 du Code pénal de 1810).
  • l’article sur le « devoir conjugal », qui promulgue l’exigence d’une vie sexuelle régulière au sein du mariage, légalise le viol conjugal (1810)
  • l’interdiction de divorcer en 1816
Cette domestication des femmes renforce les caractères inégaux et les comportements intégrés par les femmes. Il faudra attendre :
  • 1938 pour que l’incapacité civile des femmes soit levée. Elles obtiennent le droit de posséder une carte d’identité/un passeport ou encore d’ouvrir un compte bancaire sans l’autorisation de leur mari.
  • 1965 pour que les femmes puissent travailler sans l’autorisation de leur mari.
  • 1975 pour l’abrogation du crime passionnel : il n’est plus une “circonstance atténuante” aux yeux de la loi pour tuer sa femme
  • 1990 pour qu’on officialise l’existence du viol conjugal.
Les femmes ne disposent toujours pas de leur corps jusqu’à la dernière partie du 20ème siècle. Jusqu’aux années 1960-70, la contraception et l’IVG (interruption volontaire de grossesse) sont interdites en France métropolitaine. Pourtant, en Outre-Mer, on incite les femmes à recourir aux techniques contraceptives, voire on les force à recourir à des IVG ou on les stérilise à leur insu.
 
Pendant toutes ces années, les femmes sont cantonnées à la maternité et au foyer. Les manuels « de la bonne ménagère » se multiplient ainsi que les articles dans la presse, à l’instar de « Prenez-en de la graine » qui apprennent aux femmes à être de bonnes épouses et mères.
Extrait du "Manuel scolaire d'économie domestique" pour les femmes, édité en 1960
Au cours du 20e siècle, des mesures sont prises pour abolir progressivement en droit la domination masculine dans la sphère privée. Mais si les femmes s’émancipent peu à peu, les comportements intégrés ont fragilisé leur statut dans la société. De nombreuses femmes vont ainsi pointer du doigt la domination masculine et lutter contre les violences sexistes et sexuelles qui perdurent.

« Cette inégalité des personnes en vertu du sexe déclaré à l’état civil, a été à l’origine de mouvements, qui à partir de la fin du XIXe siècle, ont été désignés sous le terme de féministes. Les luttes issues de ces mouvements ont progressivement, fait reculer la domination masculine dans le droit. »

Conclusion

Les violences sexistes et sexuelles faites aux femmes ont donc une longue histoire : elles se sont ancrées dans la société par diverses persécutions et lois aggravant la hiérarchie entre les femmes et les hommes. C’est par l’asservissement, la domination et l’exploitation, que le patriarcat, le capitalisme et la colonisation, qui se nourrissent les uns des autres, ont façonné notre société. Etudier et comprendre ces mécanismes, mis en place à partir du 16ème siècle, est essentiel pour comprendre le caractère structurel des violences qui persistent dans notre société aujourd’hui, en France.

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Sources

  1. Sexe, Race et colonies, Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Gilles Boëtsch, Dominic Thomas, Christelle Taraud, 2018
  2. Les putains du Diable. Procès des sorcières et construction de l’État moderne, Armelle Le Bras-Chopard, 2016
  3. Caliban et la Sorcière, Sylvia Federici, 2004
  4. Sorcières, la puissance invaincue des femmes, Mona Chollet, 2018
  5. Le ventre des femmes, Françoise Verges, 2017
  6. Les enjeux internationaux de la parité, Françoise Gaspard, 2000

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