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La prostitution, “plus vieux métier du monde”, demeure au cœur de nombreux enjeux sociaux et politiques en France. La législation et les politiques publiques visant à réguler cette activité complexe ont évolué au fil des années. Les défis persistent, notamment en ce qui concerne la protection des personnes prostituées, en particulier les mineur.es, et la lutte contre les réseaux d’exploitation sexuelle. Au sein même des féminismes, la question divise. On vous explique.
Sommaire
📊 Les chiffres clés
mineur·es au moins (à partir de 12 ans) sont en situation de prostitution en France, avec une augmentation de 300% entre 2016 et 20203.
En France, l’âge de consentement est de 15 ans, et de 18 en cas d’inceste; à partir de 13 ans, un enfant peut consentir si l’écart d’âge avec son ou sa partenaire est inférieur à 5 ans. Un mineur en situation de prostitution ne peut donc pas donner son consentement.
des femmes prostituées ont subi des violences physiques dans le cadre de leur activité et 64% des violences psychologiques et/verbales au cours des 12 derniers mois1.
👀 Par ici l’explication
La prostitution est une pratique qui consiste en l’échange de services sexuels contre une rémunération. Ce phénomène, ancré dans l’histoire de nombreuses civilisations, a évolué au fil des siècles et pris diverses formes en fonction des contextes sociaux, économiques et législatifs.
Si la prostitution peut être un choix, la précarité, le sous emploi, le chômage ou encore les réseaux criminels peuvent pousser des personnes à se prostituer. Les personnes en situation de prostitution ont souvent subi des violences sexuelles, 64%, et/ou physiques, 57%, au cours de leur enfance4.
Les différents types de prostitution
🚗 Prostitution de rue : C’est la forme la plus visible, où les personnes prostituées abordent la clientèle sur la voie publique.
🏠 Maisons closes : Jusqu’à leur fermeture en 1946 en France, ces établissements étaient des lieux légaux dédiés à la prostitution.
📞 Escort services : Ces services impliquent généralement des rencontres pré-arrangées par téléphone ou en ligne, souvent pour des services de compagnie qui peuvent inclure des relations sexuelles.
👠 Prostitution de luxe : Souvent associée à des services d’escort, cette forme de prostitution implique des transactions financières plus élevées et des interactions dans des environnements haut de gamme.
🛜 Prostitution sur internet : Avec l’avènement du numérique, la prostitution a migré vers des plateformes en ligne, permettant des contacts plus discrets et directs entre clients et personnes en situation de prostitution. Elle représente ⅔ de la prostitution en France et implique davantage de mineur·es.
Le cadre légal en France
Quelques points clés sur la législation française 5 :
- La prostitution elle-même n’est pas illégale en France. Les personnes qui se prostituent ont le droit de le faire sans être criminalisées. Elles doivent déclarer leurs activités à l’URSSAF en tant qu’auto-entrepreneuses et bénéficient de droits et protections spécifiques pour éviter les abus et les violences.
- Mais…avoir recours à la prostitution est illégal ! La loi autorise l’offre, mais pas la demande; d’où la complexité du sujet, qu’on vous explique plus bas. La première infraction est punie de 1 500 € d’amende (jusqu’à 3 750 € si récidive).6. En France, 18% des hommes ont déclaré déjà avoir eu recours à des services de prostitution au moins une fois dans leur vie, contre 0.6% des femmes7.
- Le proxénétisme, qui consiste à tirer profit de la prostitution d’autrui, est sévèrement puni : jusqu’à 7 ans de prison et 150 000 € d’amende (voire + si circonstances aggravantes). Les personnes impliquées dans la gestion ou le financement de lieux de prostitution encourent des peines encore plus lourdes.
- Depuis 2016, des mesures d’accompagnement sont proposées aux personnes qui veulent quitter la prostitution (soutien financier, aide à l’insertion professionnelle, accès facilité à des logements sécurisés). 8.
L’objectif de l’Etat à travers ces différentes lois est de réduire les activités liées à la prostitution en criminalisant non pas les personnes en situation de prostitution, pour les protéger, mais la clientèle.
🔎 Plus concrètement
Les arguments POUR la dépénalisation 🟢
Les arguments contre l’interdiction (= pour la dépénalisation) de la prostitution en France reposent principalement sur la protection des droits des travailleurs et travailleuses du sexe, la sécurité et la santé publique. Les “réglementalistes” ou “décriminalistes” soutiennent que la réglementation, plutôt que l’interdiction, offrirait une meilleure protection aux personnes concernées et considèrent que certaines personnes se prostituent volontairement. Décriminaliser la prostitution permettrait de :
⚖️ Reconnaître la prostitution comme un travail légitime, offrant ainsi aux travailleurs et travailleuses du sexe des droits et une protection juridique9. C’est ce que préconisent Médecins du Monde et diverses ONG qui soulignent que les travailleurs et travailleuses du sexe sont plus vulnérables à la violence, à l’exploitation et aux abus, et ont moins d’accès aux services de santé et de soutien.
🩺 Mieux protéger les travailleurs du sexe et de réduire les risques sanitaires, comme le soutient Médecins du Monde. Les personnes en situation de prostitution sont en effet plus à risque face aux agressions physiques et verbales mais également face à la transmission de MST, du VIH ou encore des hépatites10.
🚨 Mieux distinguer la prostitution jugée volontaire et de celle subie et de réorienter les efforts vers la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains11.
💰Générer des revenus fiscaux pour l’État et participer à l’économie du pays car reconnaître la prostitution comme travail engage les personnes concernées à payer des impôts.
Les arguments CONTRE la dépénalisation 🔴
Protection des personnes vulnérables, lutte contre les trafics et violences physiques et psychologiques… il existe de nombreux arguments contre. Parmi les féministes, les “abolitionnistes” portent comme première considération l’abolition de cette pratique. Historiquement, la plupart féministes considèrent la prostitution comme la marchandisation du corps des femmes. Il leur apparait nécessaire d’interdire la prostitution car selon elles et eux :
La prostitution n’est jamais un choix, 80 à 95% des personnes en situation de prostitution ont subi des violences sexuelles (inceste, viol, pédophilie)12. La féministe Andrea Dworkin déclare que “l’inceste est le camp d’entrainement pour la prostitution.”13
La prostitution ne peut pas être un travail, qui implique une fiche de poste et des compétences spécifiques. Dans le cadre de la prostitution, l’acte d’achat réifie (= transforme en produit) la femme et c’est le client qui décide de ce qu’il fait du corps de l’autre. Cet argument s’inscrit dans une perspective de domination des hommes (99% des clients sont des hommes) sur les femmes (85% des prostitué·es sont des femmes)2. Impliquant l’invasion de son propre corps, la prostitution n’est pas un travail comme un autre.
“La prostitution est intrinsèquement une violence sexuelle.” (Céline Piques, porte parole de l’association Osez le féminisme !)14. 93% des femmes prostituées sont étrangères15, beaucoup sont très précaires économiquement, ce qui rend le consentement difficile (il n’est pas donné librement s’il résulte d’une contrainte économique).
La prostitution expose à des risques accrus d’abus et de violence (physique, verbale, psychologique) et son interdiction peut aider à prévenir ces dangers16.
La prostitution alimente la traite des êtres humains (particulièrement des femmes et des enfants), et son interdiction est un moyen de réduire la demande et de démanteler ces réseaux criminels17.
Les prostitué·es vendent leur corps, constituant une violation de leurs droits humains fondamentaux et leur dignité.
💃 Ça bouge par ici !
En mai 2024, le gouvernement français a annoncé un plan pour renforcer la lutte contre la prostitution, notamment en ciblant le proxénétisme en ligne et l’exploitation des mineur.es. Ce plan inclut des sanctions accrues pour les clients de prostituées mineures et une intensification des efforts pour démanteler les réseaux de proxénétisme, en particulier ceux utilisant des plateformes en ligne pour recruter et exploiter des personnes18.
🎮 T’as la ref ? | Le quizz VRAI ou FAUX ?
🥽 D’autres refs à aller checker
- Salope de Bigflo et Oli, chanson
- Prostitution, épisode du podcast Féminisme Initial, 24 min (2022)
- Paris, capitale de l’amour et bordel de l’Europe, documentaire Arte, 15 min (2023)
- Juste Charity, documentaire Arte, 77 min (2020)
- “La prostitution est raciste, classiste et sexiste”; dossier, Mouvement du Nid
- La Vie en rouge, podcast conçu et réalisé par des femmes ayant connu la prostitution. Ce podcast est soutenu et financé par le Mouvement du Nid (association luttant contre la prostitution).
- Trigger Warning : des évènements et expériences ralatées dans le podcast peuvent choquer (dont violences et VSS)
Merci à Morgane pour la bannière !
Et vous, qu’en pensez-vous ?
Sources
- La prostitution en France, Observatoire des violences faites aux femmes, 2024
- Rapport d’information, Assemblée Nationale
- Prostitution : un nouveau plan de lutte présenté ce jeudi, huit ans après la loi pénalisant les clients, Public Sénat, 2024
- Prostitution en France : ampleur du phénomène et impact sur les personnes prostituées, Observatoire des violences faites aux femmes, 2015
- ”Prostitution, proxénétisme, tourisme sexuel”, Service Public, 2023
- “Loi de 2016 contre la prostitution : la CEDH juge la requête des travailleurs du sexe recevable”, La Croix, 2023
- “Prostitution : qui sont les clients?”, Journal du dimanche, 2013
- “Qu’est ce que la prostitution ?”,Question Sexualité
- "Les travailleuses du sexe n'ont pas d'autres possibilités que d'accepter ce qu'elles refusaient”,France Info, 2018
- "La situation des travailleurs et travailleuses du sexe en France”,Médecins du Monde
- "Migrantes : entre prostitution et pauvreté”,Le Monde
- "Santé et prostitution”, Département du Morbihan
- "La prévention des violences”,Mouvement du Nid
- “Prostitution”, Féminisme Initial, 2022
- “Prostitution en France : ampleur du phénomène et impact sur les personnes prostituées”,MIPROF, 2015
- “30 arguments en faveur de l’abolition de la prostitution”, Mouvement du nid, 2014
- “Prostitution, le gouvernement dévoile son plan de lutte, Le Monde, 2024
- “Le gouvernement a dévoilé son plan contre la prostitution”,France Info, 2024
Attention : on ne peut pas prétendre à l’impartialité si on met particulièrement en avant la défense du système prostitueur en citant plutôt 2 fois qu’une des associations pro proxénétisme (qu’ils veulent décriminaliser) telles que le Strass. 😉
Pour ouvrir ce genre de débat, très sensible, il faut savoir de quoi on parle : écoutez les survivantes, dans leur podcast La Vie En Rouge, vous le raconter. Quand on connaît les causes d’entrée en prostitution (violences sexuelles préalables, précarité, migration, rupture familiale etc) et les conséquences (santé physique et mentale, troubles du sommeil, psychotraumatismes)- comme le dit Alexine, survivante « on ne peut pas parler de prostitution sans parler de traumatisme »- c’est déjà difficile de voir ce sujet traité ainsi (bientôt un débat : « pour ou contre les violences sur les femmes ? » ^^ 😉) alors discutez en avec les femmes survivantes, les associations qui accompagnent des milliers de personnes chaque année, comme le Mouvement du Nid (pléthore de témoignages sur le site).
Bizarre d’ailleurs qu’une association nationale d’accompagnement et de prévention ne soit citée qu’en source… Contrairement à la propagande d’achat et de vente de femmes.
En effet reposons les termes du débat : « dire que les femmes ont le droit de se vendre, c’est masquer le fait que les hommes ont le droit de les acheter » (Françoise Héritier, anthropologue).
Pour moins de partialité, la prochaine fois, parlez de la réalité et posez la question à l’endroit : « pour ou contre l’achat des femmes (vulnérables, violentées et précaires) par les hommes ? »
Ça pose une question bien plus grande : dans quelle société voulons nous vivre ? Comment prétendre à l’égalité et faire des sujets contre les violences sexuelles quand la violence est au cœur même du système, dernier bastion du patriarcat totalement décomplexé ?
Avez vous déjà imaginé être achetée par un homme, qui vient vous voir pour vous pénétrer, par les trous qu’il veut, estimant qu’il paie et qu’il a donc tous les droits (les clients prostitueurs le disent)? Ne nous leurrons pas : plus c’est cher, plus c’est violent, qu’on soit dans une voiture ou dans une luxueuse chambre d’hôtel (de laquelle d’ailleurs on ne peut pas partir) légaliser la prostitution c’est donner encore plus de pouvoir aux clients prostitueurs, et de possibilités d’anéantissement des femmes.
Regardez l’enfer que sont devenus les Pays Bas (où des moniteurs d’auto école peuvent proposer un acte sexuel aux femmes qui ne pourraient pas payer leur leçon de conduite) ou l’Allemagne, où la légalisation n’a été une solution que pour les clients et les proxénètes. Ils ont bloqué les femmes dans l’enfer.
Merci de considérer la réalité prostitutionnelle. Le livre Last Girl First, qui reprend plus de 500 références à travers le monde, explique bien qu’il s’agit de violences systémiques à la croisée de l’ensemble des oppressions (sexistes, racistes, capitalistes).
Bonne lecture et écoute du podcast La Vie En Rouge 😉