Pour beaucoup, l’été est synonyme de régimes, épilation, summer body, achat de maillots de bain… Mais au fait, est-ce que le maillot de bain participe à l’émancipation des femmes ? Ou produit-il l’effet inverse ? Plage, mer, piscine… quelle est l’histoire du maillot de bain ? “Le littoral est bien plus qu’un laboratoire de la mode : il est le laboratoire des libertés individuelles, de l’appropriation de son propre corps et du féminisme”, nous dit Audrey Millet dans son livre Les dessous du maillot de bain : une autre histoire du corps, paru en 2022. Cette fiche reprend en grande partie son travail de recherche.
Sommaire
👀 Par ici l’explication : l’histoire du maillot de bain
L’histoire du maillot de bain féminin est très intimement liée à celle du rapport à l’eau, à la baignade, et à la perception des femmes au fil des époques.
- Grèce antique : Si l’eau est source de vie et de purification, la méconnaissance des fonds marins, l’étendue des océans et les naufrages font aussi d’elle une source de grand danger. Dans la Grèce antique, les femmes sont jugées fertiles, humides et instables comme les flots : dans la mythologie, Aphrodite, déesse de l’amour et de la fertilité, est née de l’écume des eaux (née d’Ouranos, dont les testicules ont été rejetés à la mer, aïe). Les hommes pratiquent quand même la natation, exercice des guerriers.
- Empire romain : les thermes (non mixtes) popularisent les bains publics. Les femmes peuvent se baigner si elles sont malades, réglées, ou par souci d’hygiène, mais toujours pas de “maillot de bain” en vue : aucun vêtement n’est dédié aux bains.
- Moyen-Âge : dans les années 1350, la peste noire fait 25 millions de victimes. Les bains sont accusés de propager les épidémies et ont donc mauvaise réputation. Côté femmes, les nouvelles valeurs fondamentales de modestie et pudeur véhiculées par les monothéismes ne font pas bon ménage avec la baignade. Les hommes considèrent qu’ils perdent le contrôle lorsqu’une femme ne se couvre pas suffisamment. En revanche, les médecins préconisent les bains de mer, et il est de bon ton d’apprendre à nager pour éviter de se noyer.
- Renaissance : avec l’essor de la science, les hommes “mettent le corps, surtout le corps des femmes, en chiffres. La standardisation du féminin, la transformation de son anatomie, l’effacement du bas [le sexe, qui enfante, tente et séduit, est caché pour ne pas interpeller les regards masculins] et la mise en lumière du haut visent à limiter les débordements moraux.”4
- Époque des Lumières : stop aux anciennes théories scientifiques et à la rigueur : le corset est abandonné, les corps se desserrent au profit de vêtements plus souples. La pudeur reste de mise grâce aux roulottes, ou “machines à bain”, qui permettent aux femmes d’accéder à l’eau sans être vues. Elles se baignent dans des vêtements en lin, une tunique, un pantalon et parfois une large jupe multicolore en plus. Du plomb dans l’ourlet maintient le jupon. En parallèle des bains de mer, le bain public redevient populaire avec la nécessité de sensibiliser la population à l’hygiène.
- XIXe siècle : la mode s’empare des vêtements de bain. Des tenues moins chères font leur entrée sur le marché. Aux États-Unis, le terme “maillot de bain” remplace celui de “robe de bain”. La baignade récréative devient populaire, puis la natation féminine.
- XXe siècle : L’activité physique pour les femmes est désormais acceptée et le bronzage devient populaire. Ainsi, pour faciliter les mouvements dans l’eau et éviter les marques de bronzage disgracieuses, le maillot de bain devient de moins en moins couvrant. Toutes les femmes se mettent à la baignade, encouragées par le concours Miss America, qui modifie la fonction première du maillot en le faisant sortir de l’eau : auparavant jugé impudique, il reflète désormais un état plus “habillé” que “déshabillé”. Le bikini fait son entrée, et les Trente Glorieuses voient l’avènement des vacances de masse grâce aux congés payés et de nombreuses avancées technologiques (latex, mousse et caoutchouc pour tenir la poitrine…).
“Le bikini dit toute une époque : celle d’une liberté nouvelle, de l’insouciance des années d’après-guerre et de la société de consommation.”
🔎 Plus concrètement
Le maillot de bain qui oppresse
- Standardisation : la majorité des femmes ne se reconnaissent pas dans les tailles des maillots fabriqués en série, qui moulent plus que n’importe quel vêtement.
“L’imposition des tailles S, M et L a des conséquences sociales non négligeables. Elle modifie sur le long terme l’idéal de beauté et exclut de fait toute une partie de la population.”
- Injonctions : dans le même temps, le maillot occupe une place croissante en société et rétrécit sur les corps des femmes. De nouvelles normes de beauté s’imposent :
“La saturation des images qui utilisent des postures sexualisantes, des mannequins hors norme et de nombreuses retouches influence grandement l’estime de soi.”
Les femmes subissent la violence symbolique des normes corporelles et en y participant, elles la normalisent : minceur, épilation, bronzage, chirurgie esthétique…. Dès 1900, les diététiciens pointent du doigt la prédisposition des femmes à prendre du poids. L’obésité est dès lors présentée comme une tare presque spécifiquement féminine. Aiguilles pour varices, électrodes ou même rouleaux masseurs à piles font leur entrée sur le marché et contribuent à la faible estime de soi des femmes. À ce propos, en 2023, 62% des femmes se déplacent en rentrant le ventre sur la plage contre 36% chez les hommes.
- Sexualisation : les campagnes publicitaires encouragent les femmes à transformer leurs corps (pour consommer), afin de plaire au regard d’autrui :
“Être belle... être glamour... être charmante ! Sculptez votre silhouette, madame, dans ces maillots de bain de BVD – dont chaque point est conçu pour vous modeler, vous retenir, vous révéler la plus séduisante et la plus glamour... “
Publicité BVD
Encore aujourd’hui, cette sexualisation pose problème : en 2023, plus d’⅓ des femmes a déjà subi des regards appuyés, des sifflements ou gestes déplacés en maillot de bain. Une Française sur deux (49%) a déjà subi une forme de harcèlement ou d’atteinte sexuelle dans un lieu dédié aux bains et près de la moitié mettent en place des stratégies d’évitement : elles renoncent à se mettre en maillot, à porter des tenues qui découvrent certaines parties de leurs corps, ou même à se rendre à la plage seules2. À l’inverse, les femmes qui veulent se baigner couvertes en portant le burkini sont également pointées du doigt (le burkini fera l’objet d’une fiche ultérieure).
Le maillot de bain qui libère
Du corset à la gaine, à la robe de bain, au maillot de bain, au bikini puis au topless voire au nudisme, le dévoilement est souvent synonyme d’émancipation et de liberté du corps pour les femmes.
Malgré la standardisation des maillots de bain, leur évolution esthétique permet plus de créativité et d’expression artistique dans le choix des formats :
“L’inventivité du second XXe siècle permet à chacune de trouver la tenue de plage idéale. Bikini, monokini, string, une pièce, culotte haute, mini ou maxi... les maillots et les corps gagnent peu à peu en pluralité.”
Le choix du maillot de bain, ou de ne pas en porter, peut également être un facteur de liberté : quand le topless fait sa première apparition en France (1964), il devient symbole de transgression dans cette période incarnée par les Rolling Stones et Woodstock : “Se mettre à nu, c’est aussi être politiquement subversif et culturellement éclairé”. Mais aujourd’hui, si la moitié des femmes ne pratique pas le topless pour des raisons de santé (exposition au soleil), de nombreuses femmes ne l’osent pas par crainte : d’une photo volée (36%), d’un regard masculin déplacé (35%), de subir une agression (31%), de choquer, de paraître indécentes, de ne pas répondre aux normes de beauté ou de déplaire à leur compagnon2.
Face à cette sexualisation du corps des femmes, se mettre seins nus peut être un moyen d’expression corporel, un acte politique qui revendique la désexualisation de la poitrine et sa normalisation dans l’espace public, au même titre que celle des hommes.
💃 Ça bouge par ici !
74% des Françaises ont déjà été empêchées de se baigner à cause de leurs règles et 65% d’entre elles n’osent pas se mettre en maillot de bain5. Depuis quelques années, les maillots de bain menstruels ont le vent en poupe et permettent aux femmes de se baigner sans complexer !
🎮 T’as la ref ? | Le quizz VRAI ou FAUX ?
💭 Instant BD
🥽 D’autres refs à aller checker
- 3’24 de vidéo 100 ans de fashion : le maillot de bain pour homme, Glam Inc (il y a très peu d’informations disponibles sur l’histoire du maillot masculin !)
- 2’25 de vidéo 1974 : L’histoire du maillot de bain, Pathé Journal
- 4’33 de vidéo À l’origine du maillot de bain : une championne de natation féministe, France Culture
- Le livre Les dessous du maillot de bain : une autre histoire du corps, Audrey Millet
Sources
- Étude Le marché du maillot de bain en France, Businesscoot
- Enquête de l'Ifop commandé par Voyage avec nous, La plage : un lieu d’expression du sexisme comme les autres ? août 2023
- Enquête de l’Ifop pour Voyage avec nous L’été 2023 sera-t-il l’été de la fin du “summer body”?, juin 2023
- Les dessous du maillot de bain : une autre histoire du corps, Audrey Millet, 2022
- Enquête de l’Ifop pour Intimina Les françaises, les coupes menstruelles et l’impact des règles dans leur vie, mai 2021
[…] guerrière et chamane amérindienne, de Annette Kellermann, pionnière de la natation, et de bien […]