Fiche technique
6.5
Synopsis
Quel lien avec le féminisme / le genre ?
Attention SPOIL
L’avis de la rédac
J’adore quand un film transpire le féminisme sans jamais citer le mot. La narration confronte deux femmes voisines que tout oppose : l’une, Rose, est très libre et insolente, elle jure, répond, parle fort, prend de la place et se fiche de toute convention; tandis que l’autre, Edith, est enfermée sous le joug de sa foi, transmise de main de fer par ses parents, chez qui elle vit toujours malgré ses plus de 40 ans (elle dort d’ailleurs dans la même chambre qu’eux). Le père a annihilé tout esprit critique potentiel chez sa fille pour en faire en quelque sorte leur esclave personnelle.
Un deuxième niveau de lecture permet d’aller au delà de la rivalité construite entre les deux femmes, qui dans le fond s’apprécient. On comprend peu à peu l’emprise très forte du père sur sa fille, à l’instar d’un gourou, qui provoque en elle une sorte de schizophrénie à l’origine de jurons incontrôlables. Spoiler alert : c’est elle qui s’envoie à elle-même des courriers d’injures. Seulement sa voisine Rose est la parfaite coupable et se fait donc arrêter par la police.
Ce film traite justement du rôle de la justice et de la police. Il n’y a que des hommes aux postes de pouvoir, l’unique policière femme étant sous le joug d’une hiérarchie extrêmement sexiste. On y retrouve tous les éléments d’un cadre de travail toxique : le sexisme ordinaire (blagues salaces, sexuelles et dégradantes), l’infériorisation des femmes (elle est toujours appelée “love”), le manque de considération de ses collaborateurs, et in fine ces derniers s’attribuent le mérite de son travail. J’espère de tout coeur qu’il s’agit d’une caricature mais bien que la trame comique du film le laisse envisager, je ne suis pas sûre que ce soit si éloigné de la réalité de l’époque.
On voit aussi le carcan du mariage et l’image de la femme décente selon les moeurs de l’époque. Rose Goodling fait peur car elle est littéralement incontrôlable. Elle est perçue comme un élément perturbateur et les biais cognitifs conduisent les policiers à la mettre en cause directement sans même attendre de preuve avant son incarcération. Lors du procès, sa défense est mise à mal par son mensonge (bien qu’il soit hors-propos vis à vis de l’affaire) : son mari n’est pas décédé à la guerre comme elle le prétend. Elle est accusée d’avoir eu un enfant illégitime (c’est à dire hors mariage), alors qu’en réalité elle a fui les coups d’un mari violent. À cela s’ajoute la précarité, matérialisée par l’impossibilité de payer sa caution pour sortir de prison en attendant son jugement.
Ce film est féministe dans son propos de fond : mettre en lumière les injustices liées à la condition des femmes à cette époque, mais aussi dans sa forme : on y voit des femmes qui jurent, qui pètent, qui sentent mauvais et qui sont aux toilettes… On les sort de l’image lissée de la femme sans tâche dont l’élégance n’aurait d’équivalence que sa grande pureté… ici on met les pieds dans le plat pour montrer la réalité.
J’ai beaucoup aimé ce film car j’ai réussi à voir du second degré dans des scènes qui témoignent quand même d’une situation désastreuse et profondément injuste pour les femmes de cette époque. Il met à l’honneur la sororité, même entre rivales, et fait fi des sentiments de vengeance, rancune ou colère qui caractérisent traditionnellement les héros meurtris. La dernière ligne d’Edith se clôture d’ailleurs ainsi “une fois que j’ai commencé, je n’ai plus pu m’arrêter; je suis désolée que ce soit tombé sur toi”. Je recommande chaudement !
Morgane, fondatrice de la ReF
19 mars 2024