Féminisme bienveillant pour s’informer, se cultiver et s’inspirer

Bannière de l'article sur l'avortement aux États-Unis
L’avortement aux États-Unis
Le 24 juin 2022 marque la révocation de l’arrêt Roe v. Wade, qui protégeait le droit à l’avortement à l’échelle nationale, à la suite d’une décision prise par la Cour Suprême des États-Unis, principal organe judiciaire du pays. L’avortement se définit comme l’interruption d’une grossesse, naturelle ou provoquée. Aux États-Unis, 1 femme sur 4 a déjà avorté au cours de sa vie1. Toutes les femmes ne sont pas confrontées de manière égale à la question de l’avortement, dont les enjeux sont à la fois économique, politique, sanitaire, et liés au genre.
 
Qu’est ce que Roe v. Wade ? Quel système légal a permis cette décision ? Quelles en sont les conséquences ? Dans cet article, nous allons décrypter le sujet de l’avortement aux États-Unis en nous penchant sur une analyse historique, politique, et religieuse. La question de l’avortement en France, à l’international, et d’un point de vue philosophique, sera développée dans de prochains articles.

Sommaire

I. Comprendre le contexte

1. Le système politique des États-Unis

Les Républicains et les Démocrates

L’arrêt Roe v. Wade a été révoqué à l’échelle nationale le 24 juin 2022; chacun des 50 États est désormais libre d’instaurer ses propre lois en matière d’avortement. Comment fonctionne le système politique des États-Unis ? Alors qu’en France, une pluralité de partis se divisent l’échiquier politique de la droite à la gauche, aux États-Unis, seuls deux partis dominent la scène : les Républicains et les Démocrates.

Il est né en 1854. Au XXIe siècle, il s’oriente sur le conservatisme – philosophie politique refusant le changement, en faveur des valeurs traditionnelles. Ce parti prône : le port d’arme, la baisse des impôts, le capitalisme, les restrictions du droit à l’avortement et à l’immigration, l’augmentation des dépenses militaires… Son électorat se compose de femmes et hommes blancs, de couples mariés, de chrétiens évangéliques (de religion protestante, fondée sur les Évangiles), et de résidents de zone rurale.

Il est né en 1828. D’abord hostile à l’implication de l’État dans l’économie, il devient davantage progressiste – philosophie politique promouvant le progrès social, les réformes – dans les années 1930. Ce parti prône : la défense des minorités et des LGBT, l’avortement, la restriction du port d’arme… Son électorat est mixte, urbain, et rassemble également les minorités ethniques et les personnes dont le niveau d’éducation est supérieur.

Les trois grandes institutions

Les États-Unis deviennent indépendants le 4 juillet 1776, et la Constitution prend effet en 1789. Elle est, à ce jour, l’une des plus anciennes Constitutions qui existent dans le monde. Ce texte fondateur est très compliqué à modifier (seules 27 sur 11 000 modifications proposées ont été acceptées entre sa création et 2016). La Constitution construit le système politique des États-Unis sur la séparation des pouvoirs entre trois branches distinctes :
  • Le pouvoir législatif : (qui peut créer, modifier et abroger une loi) est représenté par le Congrès, lui-même divisé entre le Sénat et la Chambre des Représentants.
  • Le pouvoir judiciaire : (qui peut interpréter, statuer une affaire judiciaire et rendre un jugement définitif) est représenté à deux échelles : au niveau fédéral par la Cour Suprême qui gère les affaires d’ordre national ; et au niveau de chaque État par des tribunaux qui gèrent les affaires locales en lien avec leur constitution respective.
  • Le pouvoir exécutif : (qui peut accepter une loi ou donner son véto, et commander les armées) est représenté par le Président et son gouvernement. Ce dernier nomme aussi les juges de la Cour Suprême, avant validation par le Sénat.
La constitution
Schéma de la Constitution des États-Unis, ©La ReF media, 2023

La Cour Suprême et son fonctionnement

La Cour Suprême est la plus haute juridiction du pays, garante de la Constitution. C’est la Cour de première instance pour toutes les affaires impliquant un ou plusieurs États. Ses décisions sont indiscutables : ses jugements ne peuvent faire l’objet d’appels. Son rôle est donc fondamental pour trancher les débats de société comme celui de l’avortement.
 
Créée en 1790, elle se compose de neuf juges, désignés par le Président, seul à avoir le pouvoir de nomination. Ces candidatures doivent ensuite être validées par le Sénat. Une fois confirmés, les juges exercent leur rôle à vie et ne sont remplacés qu’en cas de retrait volontaire ou de décès.
 
Chaque nomination de juge est cruciale car elle modifie l’équilibre politique de la Cour Suprême. Ainsi, depuis des décennies, les présidents Républicains nomment des juges conservateurs tandis que les présidents Démocrates nomment des juges progressistes.

2. L’avortement aux États-Unis

Histoire de l’avortement aux États-Unis

Quelle est la polémique de fond ? Les personnes pour l’avortement considèrent qu’il est du ressort des individus, et des femmes en particulier, de choisir ce qu’elles peuvent faire ou non de leur corps ; tandis que les personnes contre estiment qu’expulser un foetus ou un embryon est un acte meurtrier qui devrait être criminalisé.
 
Partout dans le monde et qu’importe les lois, les femmes ont toujours eu recours à des interruptions volontaires de grossesse, et ce depuis au moins l’Antiquité. Après l’indépendance proclamée des États-Unis, l’avortement ne suscitait pas de controverse particulière : il a fallu attendre la fin du XIXe siècle pour que ce sujet suscite des débats.
 
Vers 1970, l’avortement était puni dans presque chaque État du pays ; les femmes avortaient donc illégalement. Des études menées en 1993 puis en 2014 aux États-Unis (cf article Numerama, 2022) montrent que limiter l’accès à l’avortement ne freine pas l’avortement, les lois restrictives ne font qu’augmenter les pratiques clandestines et dangereuses.
 
Quand l’avortement n’était pas légalisé, les hôpitaux américains autorisaient seulement les avortements thérapeutiques (si la vie de la femme était en danger). Elle devait alors se présenter devant un comité de docteurs (presque tous des hommes) et demander l’autorisation d’interrompre sa grossesse. Très souvent, la demande était acceptée à condition que la femme soit stérilisée par la suite.

Qu’est ce que Roe v. Wade ?

Le contexte : Dans les années 1960-1970, le soutien en faveur de l’IVG (interruption volontaire de grossesse) gagne du terrain grâce à des affaires sanitaires et juridiques qui lèvent le voile sur la nécessité d’autoriser l’avortement : tout d’abord la thalidomide, un médicament qui engendre fausses couches et malformations physiques des bébés, puis la rubéole, qui provoque également des fausses couches et des problèmes de santé chez les nouveaux nés.
 
Petit point juridique : les lois américaines respectent « la règle du précédent » (stare decisis basis) – soit le fait que les arrêts précédents fassent jurisprudence (la décision vaut pour les autres cas similaires). Aux US, les procès portent le nom de leurs parties prenantes : le défendeur et le juge. Roe v. Wade correspond donc à l’affaire qui a opposé Jane Roe (pseudonyme de Norma McCorvey) au procureur Henry Wade.
 
Norma McCorvey, alias Jane Roe
L’histoire de Norma McCorvey, alias Jane Roe : En 1969, Norma, 21 ans et toxicomane, tombe enceinte pour la troisième fois. Pour des raisons financières, elle n’a jamais été en mesure d’élever ses enfants. Elle souhaite avorter mais le Texas ne le permet pas et elle ne peut se rendre dans un État où l’avortement est pratiqué, faute de ressources financières. Elle rentre alors en contact avec deux avocates qui cherchent à montrer l’injustice des lois sur l’avortement.
 
L’histoire du procès : au nom de Norma McCorvey, les deux avocates Sarah Weddington et Linda Coffee attaquent en justice Henry Wade, un procureur du Texas. Leur argument : en interdisant le droit à l’avortement, la législation texane porte atteinte au droit constitutionnel à la protection de la vie privée. Le tribunal reconnaît que la loi texane est anti-constitutionnelle, mais refuse de condamner l’État… Sarah Weddington, 26 ans, défend donc l’affaire Roe v. Wade face à la Cour Suprême. Elle gagne : la Cour juge à sept contre deux que cette décision entrave le 14e amendement de la Constitution (« droit à la vie privée »). Dès lors (et jusqu’à juin 2022), les États ne peuvent interdire l’IVG si elle est nécessaire pour protéger la santé de la femme, concernant « tous les facteurs physiques, émotionnels, psychologiques, familiaux, pertinents ».

II. 24 juin 2022 : Révocation de Roe v. Wade. Que s’est-il passé ?

1. Religion : un impact énorme sur ce sujet de société

Quand la religion est devenue politique

En 1960, les personnes anti-avortement (catholiques, évangéliques) se regroupent sous le National Right to Life Committee, le premier comité national défendant le “droit à la vie”, et le Christian Action Council, pour faire face à un mouvement pro-avortement naissant. Post Roe v. Wade, des groupes régionaux anti-avortement se forment, s’unissent, et créent un mouvement national pour annuler les décisions rendues. La société américaine se divise alors en deux : le mouvement « pro-life » (pro-vie), contre l’avortement, qui considère qu’il faut protéger la vie dès la conception et que les droits du fœtus ou de l’embryon prévalent sur ceux de la mère pour des motifs moraux et religieux (« pro-life » vient du mouvement « right to life » – droit à la vie) ; et le mouvement « pro-choice » (pro-choix), pour l’avortement, qui considère comme prioritaire le droit des femmes sur leur corps et la nécessité de choisir ou non une grossesse.
 
Le sujet de l’avortement devient politique lorsque le parti Républicain ajoute en 1976 une position anti-avortement à son programme, pour attirer le vote des électeurs religieux (surtout les évangéliques) : le mouvement pro-life a désormais un visage, celui des Républicains. Au cours des décennies suivantes, les Républicains ont déployé des efforts concertés pour donner la priorité aux restrictions de l’avortement dans la législation et à la nomination de juges anti-avortement à la Cour Suprême.

Le terrorisme anti-avortement aux États-Unis

En 2017, le président Donald Trump autorise les États à retirer toute subvention fédérale aux organisations rendant l’avortement accessible. Il reprend aussi un décret de 1984, abrogé sous Obama, qui interdit à toute ONG internationale subventionnée par les États-Unis de pratiquer l’avortement ou d’informer sur la procédure. Ces décisions sont la conséquence des années de militantisme des Républicains et militants « pro-vie ».
 
Selon les avocats David S. Cohen et Krysten Connon, dans leur livre sorti en 2015 Living in the Crosshairs: The Untold Stories of Anti-Abortion Terrorism, les militants anti-avortement instaurent une politique terroriste aux États-Unis depuis des décennies.

Le terrorisme se définit comme "un ensemble d'actes de violence commis par une organisation ou un individu pour créer un climat d'insécurité, exercer un chantage sur un gouvernement, satisfaire une haine à l'égard d'une communauté, d'un pays, d'un système."

Terrorisme anti-avortement aux États-Unis en chiffres, ©La ReF media, 2023
Ce terrorisme anti-avortement se manifeste par du vandalisme, des menaces de mort, et majoritairement un harcèlement moral et physique massif envers les médecins et gynécologues, leurs proches, ainsi que tout le personnel des cliniques pratiquant les IVG. Il s’opère partout : au travail, au foyer, auprès du voisinage, dans les magasins, les lieux de loisirs, de culte, dans les transports, au sein des médias, en ligne, devant les cliniques, par courrier.
 
Depuis 1982, 40% des cliniques pratiquant l’IVG ont fermé leurs portes aux États-Unis. Le personnel médical qui pratique l’IVG le fait au détriment de sa santé physique et mentale – voire au péril de sa vie comme en atteste l’assassinat du Dr. George Tiller en 2009. Les praticiens adoptent des techniques de protection (changement de routine quotidienne, port de gilets pare-balle, port d’armes, dissimulation de leurs coordonnées personnelles) ; ils ne peuvent revendiquer ouvertement le droit à l’avortement, et les cliniques sont placées sous haute sécurité.
 
La résolution de ces situations dépend en partie de l’efficacité de la police et des autorités locales, qui sont parfois elles-mêmes anti-avortement. En 1994, le Président Clinton vote la loi FACE après l’assassinat du Dr. David Gunn et la première tentative d’assassinat du Dr. George Tiller. Elle obtient des résultats positifs sur la protection des cliniques, l’interdiction des filatures et la pénalisation du vandalisme, mais n’endigue pas le harcèlement et les agressions.

2. Politique : ce qu’il s’est passé

Quand l’IVG est devenue partisane

Aujourd’hui, la question du droit à l’avortement aux États-Unis est profondément partisane. Une vraie bataille s’opère entre les Démocrates et les Républicains pour se faire élire et restreindre – ou élargir – le droit à l’avortement post arrêt Roe v. Wade. La question de l’avortement, traitée sous chaque présidence :

(Républicain) Il s’est approprié la question de l’IVG en 1980 et a remporté les élections en grande partie grâce aux protestants. Il nomme 4 juges anti-avortement à la Cour Suprême, dans l’idée de renverser l’arrêt Roe v. Wade. Contre toute attente, la juge conservatrice O’Connor vote en faveur du maintien de l’arrêt, permettant de justesse de conserver le droit à l’avortement, alors que la majorité à la Cour Suprême est conservatrice.

(Républicain) Il était surnommé « Capote » pour avoir défendu le Planning Familial quand il était au Congrès, une position pro-choix. À l’inverse, il a déclaré vouloir abroger Roe v. Wade. Il nomme Clarence Thomas à la Cour Suprême, juge conservateur. Durant son mandat a lieu l’affaire Planned Parenthood v. Casey : dès lors, les États ont le droit de convaincre une femme d’aller au bout de sa grossesse.

Démocrate, sa position est claire : les femmes doivent avoir le droit de choisir ce qui concerne leur corps. Il nomme à la Cour Suprême Ruth Bader Ginsburg, grande défenseuse du droit à l’avortement, ainsi que Steven G. Breyer.

(Républicain) Il supprime les aides fédérales à des associations étrangères favorables à l’IVG et à la contraception. Il nomme deux nouveaux juges pro-vie, renforçant le camp des conservateurs à la Cour Suprême. De nouvelles restrictions fleurissent sur les territoires gouvernés par des Républicains, notamment au Texas où Rick Perry part en croisade pour « défendre la vie ». On parle alors des lois TRAP (Targeted Regulation of Abortion Providers), qui rendent les opérations hors de prix et compliquent le fonctionnement des centres IVG, contraignant les cliniques à fermer leurs portes.

Démocrate et défenseur du droit à l’avortement, il a mis en place l’Obamacare et l’Affordable Care Act, une loi pour obtenir une couverture santé abordable qui inclut l’avortement, renforçant la colère des militants pro-vie. Sous son mandat, un juge de la Cour Suprême est décédé, mais le leader de la majorité au Sénat, républicain, a fait attendre le vote du remplaçant présenté par Obama dans l’espoir que les élections de novembre 2016 fassent passer un président républicain et qu’il lui revienne le choix du nouveau juge.

(Républicain) Pour faire face à son opposante démocrate et bien qu’étant le président le moins religieux de l’histoire des Etats-Unis, il a séduit les conservateurs évangéliques en promettant de nommer des juges pro-vie. Sous son mandat, 3 nouveaux juges républicains et anti-avortement ont été nommés, ce qui a bouleversé l’équilibre de la Cour Suprême. N’ayant qu’entre 50 et 57 ans, ils ancrent la Cour Suprême dans une ère conservatrice de longue durée, d’autant plus que le plus vieux juge de 83 ans est progressiste.

Composition de la Cour Suprême aux États-Unis en chiffres, ©La ReF media, juin 2022

Quel est l’argument de la Cour Suprême pour abroger Roe v. Wade ?

L’arrêt Roe v. Wade était fondé sur deux amendements de la Constitution américaine :
  • Le 4e amendement, qui instaure une protection de la vie privée et des décisions prises dans ce cadre
  • Le 14e amendement, qui garantit l’égale protection de toutes et tous devant la privation de liberté
Selon la Cour Suprême, l’arrêt Roe v. Wade aurait été « totalement infondé dès le début« . Elle a utilisé des documents fournis par les juristes pro-vie pour démonter les fondements juridiques de Roe v. Wade, laissant penser que l’IVG n’était pas une question intime et privée. Son objectif : prouver qu’aucun élément de la Constitution ne permettait de conclure à une autorisation de l’avortement; et en effet, ce texte du XVIIIe siècle n’évoque pas ce sujet.
 
Ce qu’il s’est passé le 24 juin est un revirement de situation sur la politique historique des États-Unis : la Cour Suprême respecte normalement le fait que les arrêts précédents fassent jurisprudence afin de refléter les évolutions de société, d’obtenir la stabilité du droit et de ne pas se perdre dans des batailles politiques partisanes. Même quand un droit n’est pas spécifiquement mentionné dans la Constitution, son caractère “profondément enraciné dans l’histoire et la tradition de cette nation” en fait un droit garanti par le 14e amendement. Or, d’après la Cour Suprême :

"L'avortement constitue une question morale profonde. La Constitution n'interdit pas aux citoyens de chaque État de réglementer ou d'interdire l'avortement. La conclusion inéluctable est que le droit à l'avortement n'est pas profondément enraciné dans l'histoire et les traditions de la Nation. Il n'est protégé par aucune disposition de la Constitution."

III. Les conséquences

Maintenant que l’arrêt est abrogé, les Etats-Unis reviennent donc à la situation d’avant 1973, lorsque chaque État était libre d’interdire ou d’autoriser les avortements. Ces derniers peuvent devenir illégaux en seulement quelques heures ou quelques jours (le Missouri interdit l’avortement sans exception de viol ou d’inceste moins de 24h après l’annonce).

1. D’un point de vue géographique

Une plus grande distance à parcourir : Caitlin Myers, économiste, a étudié les impacts financiers de la restriction de l’accès à l’avortement. Selon elle, les femmes cherchant à avorter devront désormais voyager 7,5 fois plus loin pour trouver une clinique proposant des interruptions de grossesse. La distance moyenne à parcourir passera d’environ 58 kilomètres à 441 kilomètres.
 
Une nouvelle cartographie : Les États les plus conservateurs et religieux, dont les gouverneurs sont républicains, se tenaient déjà prêts à interdire l’avortement avant l’abrogation de Roe v. Wade. Ces dernières années, ils avaient mis en place ce qu’on appelle des lois « zombie » ou « gâchette », rédigées pour entrer en vigueur automatiquement en cas de changement de législation à la Cour Suprême. La Californie à l’inverse se prépare à devenir un État “sanctuaire” pour faciliter les démarches des personnes qui veulent avorter.
Carte de l'état de l'avortement aux États-Unis en chiffres, ©La ReF media, juin 2022

2. D’un point de vue socio-économique

Toutes les femmes ne sont pas touchées de la même façon par l’abrogation de Roe v. Wade, car la question de l’avortement est révélatrice d’injustices sociales et économiques.
 
Pour les femmes en situation de précarité financière : Aujourd’hui, les premières femmes touchées par le recul du droit à l’avortement sont les plus pauvres, souvent les femmes noires, vivant dans des Etats conservateurs. Restreindre l’accès aux avortements sécurisés pour les femmes en difficulté financière perpétue leur pauvreté et leur insécurité, compromet leur mobilité sociale et leur possibilité de trouver un emploi à plein temps, augmente les taux de complications et de mortalité liés à la grossesse.

"La vie de millions de femmes va devenir extrêmement précaire et difficile. Et l’on sait quels effets a l’impossibilité d’avoir recours à l’avortement : celles qui ne peuvent pas voyager auront un enfant contre leur gré et chercheront à le faire adopter, ou encore elles auront recours aux méthodes de grand-mère pour interrompre leur grossesse."

Pour les Noires Américaines : Les femmes noires sont plus susceptibles de vivre dans des « déserts contraceptifs » et donc, en raison d’un taux élevé de grossesses non désirées, avortent 4 fois plus fréquemment que les femmes blanches. Par ailleurs, les États qui figurent parmi les plus stricts en matière d’avortement sont aussi ceux qui abritent une majorité de femmes noires. Sur les 22 États imposant de strictes restrictions sur l’avortement, on compte 45% des femmes et des filles noires de moins de 55 ans (Vox, juin 2022). La fin de l’avortement légal :
  • va enfermer les femmes noires dans un cycle de pauvreté, obligées de faire des compromis en matière d’éducation et d’emploi face à des naissances non souhaitées, engendrant pauvreté et niveau d’éducation inférieur.
  • va augmenter les complications de grossesse et les risques de mortalité maternelle des femmes noires, qui ont déjà 3 fois plus de risques de mourir que les femmes blanches de causes liées à la grossesse.
De façon générale, toutes les femmes seront affectées : Les femmes blanches et/ou aisées le sont également ; elles n’ont parfois pas le temps de se déplacer dans un autre État pour mettre fin à leur grossesse lorsque l’intervention est urgente, certains États pensent également à interdire ces dits déplacements, et la surveillance en ligne est très forte, compliquant les recherches de médecins, de pilule abortive…
 
D’autres couvertures médicales ? Selon les militants religieux qui constituent la majorité de l’électorat républicain, la vie doit être défendue coûte que coûte. Paradoxalement, certains pro-vie vont parfois jusqu’à tuer pour leur cause. Le parti républicain défend le port des armes (malgré les nombreux décès qu’elles provoquent), et propose peu de mesures pour favoriser la vie et la santé physique et psychique des femmes : absence de politique de santé universelle, de services de garde d’enfants remboursés, de congés payés familiaux et médicaux, et peu de mesures face au taux très élevé de mortalité maternelle. De nombreuses personnes s’interrogent sur les motivations profondes qui ont conduit à abroger Roe v. Wade : protection de la vie… ou volonté de contrôle ?

3. D’un point de vue politique

Perte de confiance dans les instances politiques

La majorité de la population américaine ne souhaitait pas que la Cour Suprême révoque Roe v. Wade. En Janvier 2022, 69% des répondants étaient contre (CNN, mai 2022). La Cour est jugée trop conservatrice : seulement 40% de la population approuvait alors son action. Il s’agit de : 

« l’opinion la plus mauvaise que l’institut ait mesurée dans ses sondages sur la Cour dans les deux dernières décennies »

Quel que soit le parti politique, la population estime que la Cour est principalement motivée par des questions partisanes 2, or les juges doivent trancher selon le respect des principes du droit et non selon leurs positions politiques. Les juges Républicains nommés à la Cour Suprême ont depuis des années été choisis en grande partie pour leur position sur l’avortement, politisant ainsi la Cour et mettant à mal la démocratie.
 
Par ailleurs, les questions de la représentation démocratique au sein des institutions américaines poussent à la réflexion :
  • Trump a été élu président avec 3 millions de voix de moins que Hillary Clinton. Sous son mandat, il a nommé trois juges conservateurs, conduisant à la révocation de Roe v. Wade alors que la majorité de la population américaine était contre cette abrogation.
  • Ces juges ont été approuvés par une majorité au Sénat – en nombre de sièges. Cependant, le Sénat ne représente réellement qu’une minorité d’électeurs car un État est constitué de deux sénateurs, quel que soit le nombre d’électeurs dans l’État (ce n’est pas proportionnel). Cela conduit à une surreprésentation des États les moins peuplés, les plus ruraux et généralement les plus Républicains, par rapport aux États les plus peuplés, urbains, principalement Démocrates. Aujourd’hui, un électeur Républicain moyen a 14% de pouvoir en plus qu’un électeur Démocrate moyen 3.

Ce qu’il pourrait advenir

L’enracinement des droits n’est plus un argument irréfutable. Tous les arrêts historiques qui protègent les droits fondamentaux des Américaines et Américains peuvent être réexaminés si la Constitution n’explicite pas clairement ces droits. Parmi eux, peuvent donc être remis en question : le droit au mariage homosexuel (arrêt “Obergefell vs Hodges”, 2015); le droit aux relations sexuelles entre personnes de même sexe (arrêt “Lawrence vs Texas”, 2003); le droit au mariage interracial (arrêt “Loving vs Virgina”, 1967); le droit à la contraception (’arrêt « Griswold v. Connecticut », 1965).

"Le droit à la contraception est déjà très contesté par certaines universités, églises et associations religieuses qui, par exemple, ne veulent pas voir mentionnée dans les contrats d’assurance santé la prise en charge des moyens de contraception fournis à leurs employées. Une série de précédents juridiques existe, mais la question n’est pas encore parvenue jusqu’à la Cour Suprême. Le cas échéant, il est tout à fait possible que l'interdiction de la contraception soit considérée comme une liberté religieuse par la Cour Suprême"

Merci à notre super graphiste Naël pour la bannière !

Sources

  1. Source : documentaire Reversing Roe, 2018
  2. Sondage Quinnipiac, novembre 2021
  3. The Conversation, 2021

Cet article vous a plu ?
Vous pouvez nous soutenir en laissant un Tip ! MERCI !

0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
0
Nous aimerions avoir votre avis, vous pouvez laisser un commentaire.x